[DOSSIER THÉMATIQUE] Les enjeux de santé dans les quartiers prioritaires - Quelles réponses de l'urbanisme ?

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Ekopolis vous propose un dossier thématique sur les enjeux de santé dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville.

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Alban Narbonne
Chargé de mission Urbanisme & Santé
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Ekopolis remercie, pour leurs contributions et relectures : 

  • Lilia Santana (Fabrique Territoires Santé),
  • Elsa Micouraud (Profession Banlieue),
  • Gwendal Bars (ARS IDF)

 Sommaire

  • #1 Les notions clefs
  • #2 Les enjeux prioritaires
  • #3 Les leviers et pistes d'actions
  • #4 Notre sélection de ressources

Pour caractériser l’état de santé des populations, on parle en santé publique de déterminants de la santé. Il s’agit de «facteurs personnels, sociaux, économiques et environnementaux qui déterminent l’état de santé des individus ou des populations». Parmi les déterminants de la santé figurent notamment les conditions socio-économiques, l’environnement et le milieu de vie des individus, constitutifs d’inégalités sociales et territoriales de santé. Ces inégalités se caractérisent entre autres par des différentiels d’exposition et de vulnérabilité (Glossaire de la promotion de la santé, OMS, 1998). 
 

> Les inégalités sociales et territoriales de santé  

En France, et en Île-de-France, l’état de santé de la population est globalement bon, mais il est dans le même temps marqué par de fortes inégalités de santé. Les inégalités de santé sont des «différences systématiques, évitables et importantes dans le domaine de la santé» observées entre des groupes sociaux. Elles sont le résultat d’une inégalité face à de nombreux déterminants sociaux tels que le revenu, la scolarité, la profession, le genre… et des déterminants globaux telles que les politiques publiques. Ces déterminants sociaux sont à l’origine des inégalités sociales de santé, qui sont définies comme «toute relation entre la santé et l’appartenance à une catégorie sociale» (Glossaire français des principaux termes sur l’équité en santé).  

Ces inégalités s’accompagnent généralement d’inégalités territoriales, caractérisées par une difficulté d’accès aux services, commerces et emplois, et par une exposition accrue aux sources de nuisances et de pollutions. On désigne alors comme «populations vulnérables» les groupes qui ont un risque accru de présenter un état de santé dégradé en raison de ces inégalités.

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> Différentiels d’exposition et de vulnérabilité 

La littérature scientifique a depuis quelques années cherché à objectiver le lien entre inégalités sociales et territoriales de santé et expositions environnementales

Des chercheurs, comme Séverine Deguen, proposent par exemple de caractériser ces liens par deux mécanismes :
- différentiel d’exposition : les populations socialement défavorisées seraient plus exposées à certains polluants et/ou à un nombre de polluants plus importants car les sources de pollution ne seraient pas équitablement réparties sur le territoire, 
- différentiel de vulnérabilité : les populations défavorisées seraient plus fragiles et plus vulnérables aux nuisances environnementales à cause de leur condition de vie. Ainsi, à niveau d’exposition identique, les populations plus défavorisées (ou résidant dans des quartiers plus défavorisés) auraient des effets sanitaires négatifs plus fréquents, voire plus graves, et seraient moins en capacité de s’en prémunir.
 

> Quelques données sur les QPV

Le quartier prioritaire de la politique de la ville est un dispositif de la politique de la ville française entré en vigueur le 1er janvier 2015, suite à l’adoption de la Loi de programmation pour la Ville et la cohésion urbaine du 21 février 2014, en remplacement de la zone urbaine sensible (ZUS) et du quartier en contrat urbain de cohésion sociale. Il y a près de 1514 quartiers prioritaires de la politique de la ville en France, dont 200 dans les Outre-mer, répartis sur 859 communes et regroupant près de 5,5 millions d’habitants en 2022. En Île-de-France, on dénombre 272 QPV, pour 1,6 millions d’habitants, soit près d’un tiers de la population nationale en QPV.

Un certain nombre d‘indicateurs nous permettent de caractériser les inégalités socio-économiques qui touchent les quartiers prioritaires. Ainsi, les QPV sont par exemple marqués par un taux de pauvreté trois fois plus élevé, un revenu médian près de deux fois moins élevé, un taux de chômage deux fois et demi supérieur, ou encore une suroccupation des logements trois fois supérieure à la moyenne métropolitaine («Vulnérabilités et ressources des quartiers prioritaires», ONPV, 2020). Ces quartiers concentrent généralement des populations à faible revenu, avec des conditions de logement et d’emploi dégradées, des jeunes en décrochage scolaire, des femmes plus éloignées de l’emploi, et une sur représentation des familles mono-parentales. Même si la population des QPV reste plus jeune que la moyenne nationale, la part de personnes âgées croît fortement, depuis quelques années, dans certains quartiers. 

Une étude issue du rapport 2019 de l’ONPV souligne également que la santé des habitants des QPV se caractérise par des indicateurs plus dégradés, ou encore la prévalence de certaines pathologies chroniques.

> État de santé

Dans les QPV, on constate une prévalence importante de certaines pathologies telles que l’obésité ou le diabète de type 2, les maladies cardiovasculaires, les problèmes respiratoires ou encore les troubles dépressifs. Les habitants déclarent ainsi souffrir plus fréquemment de diabète (+ 7% par rapport à la moyenne nationale), d'asthme (+ 6%), de dépression (+ 4%) ou encore d'hypertension artérielle (+ 3%). 

Une étude menée par l’ORS Grand Est dans 32 QPV a par exemple permis d’identifier une mortalité générale supérieure de 64 % et une mortalité prématurée (avant 75 ans) supérieure de 67 % à celles de la région. Des travaux de la cohorte record de l’Inserm sur les conséquences de l’organisation urbaine et commerciale des QPV sur les modes de vie et l’état de santé (Chaix, 2013) viennent également nourrir ce constat, en soulignant par exemple les liens entre  pression artérielle, troubles dépressifs et typologies urbaines des quartiers. 
 

> Accès aux soins

Les QPV sont également marqués par des différentiels d’accès aux soins. C’est d’abord l’offre de soins en médecins généralistes et spécialistes libéraux qui est déficitaire, avec 3,2 fois moins de médecins généralistes présents en QPV que dans les unités urbaines environnantes (ONPV, 2016). En 2019, 86 % des QPV ne disposaient par exemple d’aucune structure de soins (maisons de santé et centres de santé). Sur les 59 quartiers franciliens du nouveau programme national de renouvellement urbain (NPNRU) d’intérêt national, 45 sont localisés dans des territoires situés en zones d’intervention prioritaire, jugés plus déficitaires. 

On constate également dans les QPV un moindre recours aux soins. La principale explication de ce moindre recours aux soins est avant tout financière, mais les problématiques d’accessibilité, couplées au vieillissement et la plus grande dépendance des populations qui habitent ces quartiers, viennent renforcer ce constat.

Enfin, la part des bénéficiaires de la CMU-C est quatre fois supérieure à la moyenne nationale et 11% des habitants ne sont couverts par aucune complémentaire santé, contre 5 % dans les autres quartiers.
 

> Modes de vies

La prévalence des pathologies évoquées précédemment est fortement liée à la sédentarité, la pratique d’une activité physique et sportive ou l’accès à une alimentation saine. Ainsi, dans les QPV, 31 % des habitants pratiquent au moins 10 minutes d’activité physique dans la semaine contre 49 % des habitants des autres quartiers des unités urbaines englobantes, ce qui s’explique en partie par une faible diversité des équipements sportifs et un sous-développement des pratiques sportives dans les quartiers. 

Concernant l’accès à une alimentation saine, des études tendent à montrer que les populations les plus vulnérables économiquement et socialement rencontrent plus de difficultés, principalement à cause de la nature ou de l’insuffisance de l’offre alimentaire accessible à proximité du lieu de vie (Freedman et al., 2013). Ainsi, la prévalence de l’insécurité alimentaire, c’est-à-dire la difficulté d’accès à une alimentation suffisante et saine,  est de 14 % en QPV contre 5 % dans les autres quartiers.
 

> Vulnérabilités Environnementales 

L’état de santé d’une population est fortement lié à la qualité de son environnement, et les expositions environnementales contribuent à générer des inégalités sociales de santé par le biais des différentiels d’exposition et de vulnérabilité. Les QPV, principalement situés en périphérie, à proximité des grandes infrastructures de transport ou industrielles, sont généralement plus exposés aux nuisances environnementales. Parmi les nuisances les plus courantes, on peut évoquer la pollution atmosphérique, les nuisances sonores, la pollution des sols, le risque d’inondation, les risques technologiques et industriels, ou  l’effet d’îlot de chaleur urbain.

À titre d'exemple, sur les 59 quartiers franciliens d’intérêt national, 16 sont particulièrement impactés par des «points noirs environnementaux», c’est à dire des secteurs marqués par un cumul de nuisances comme la pollution de l’air, le bruit lié aux transports, l’habitat à risque, une carence en végétation face à la chaleur en ville, des sols pollués, la proximité de sites industriels, etc. Pour caractériser au mieux ces différentiels d'expositions, l’observatoire régional de santé d’Île-de-France propose également une approche par «cumul d'expositions environnementales».

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→ Retrouvez des éléments complémentaires de diagnostic dans les rapports annuels de l’ONPV.
→ Quand ce n’est pas mentionné, les données sont issues du rapport «Bien vivre dans les quartiers prioritaires» (ONPV, 2019).

> Projet de renouvellement urbain et contrat de ville

Un projet de renouvellement urbain offre l’occasion de mettre en regard des orientations d’aménagement avec les déterminants de santé, qui peuvent être pris en compte à différentes étapes du projet :
- en amont, au travers d’études pré-opérationnelles, comme par exemple l’évaluation d’impacts sur la santé (EIS), démarche d’aide à la décision publique, visant à promouvoir des mesures saines, durables et équitables
- durant la construction du projet, notamment les phases opérationnelles de chantier. L’information régulière, la gestion des nuisances, la mise en place d’une politique alternative (déviations, chemins piétons…), sont par exemple des pistes d’actions. Les réunions de chantiers et la gestion urbaine de proximité (GUP) peuvent permettre de gérer ces enjeux.
- en aval, par la pérennisation des investissements et l’entretien du quartier, essentiels au bien-être des habitants. On peut ici aussi s’appuyer sur la GUP, et des évaluations à l’issue du projet peuvent être menées pour en étudier les impacts.

Les démarches d’urbanisme favorable à la santé (UFS) et EIS, qui  visent à étudier les impacts d’un projet afin d’établir des recommandations de programmation et de conception favorables à la santé, durables et équitables, en intégrant au mieux les habitants, représentent ainsi un levier intéressant. L’ANRU a publié en 2021 un guide proposant des pistes pour la mise en place de projets de renouvellement urbain favorables à la santé.

Le Contrat de Ville est également un levier pertinent. Conclu entre l’État et les collectivités, il définit le cadre d’actions de la politique de la ville. Il comporte un volet santé, qui décline localement des orientations stratégiques et opérationnelles. À travers ces contrats, un ensemble d’actions peuvent donc être financées, pour renforcer l’accès aux soins et la prévention, mais aussi favoriser l’installation des professionnels de santé dans les QPV. En Île-de-France, c’est le Contrat Local de Santé, quand il existe, qui constitue le volet santé du Contrat de Ville.
 

> Atelier Santé-Ville et Contrat Local de Santé

Pour renforcer l’action du Contrat de Ville, les Ateliers Santé Ville (ASV) ont été créés avec l’objectif de mettre en place une politique locale et partenariale de santé, dans le but de réduire les inégalités sociales et territoriales de santé et d’améliorer l’état de santé des populations dans les QPV. Ils réunissent professionnels de santé, élus locaux en charge de la santé et de la politique de la Ville, et si possible, les habitants, pour conduire un programme d’actions de prévention et de promotion de la santé, sur des thèmes spécifiques reconnus prioritaires (obésité, addictions, santé mentale, etc.). Dans le cadre d’un projet de renouvellement urbain, l’ASV est donc une ressource clef, au regard de sa connaissance de l’état de santé des habitants du quartier et des acteurs locaux. Son coordonnateur est chargé du suivi et de l’évaluation du volet santé du Contrat de Ville.

Outil de contractualisation entre une collectivité territoriale et l’ARS, le Contrat Local de Santé (CLS) a pour objectifs de réduire les inégalités sociales et territoriales de santé et de proposer des parcours de santé plus cohérents. Mis en œuvre sur un territoire identifié prioritaire à partir d’un diagnostic de santé partagé, son contenu porte sur la promotion de la santé, la prévention, les politiques de soins et l’accompagnement médico-social. Le coordonnateur du CLS représente également un acteur clef à solliciter pour s’acculturer aux enjeux de santé du territoire. Enfin, en conformité avec les dispositions de la loi hôpitaux-patients-santé-territoires du 21 juillet 2009, l’ASV est partie prenante du CLS, dans les territoires concernés. 
 

> La Gestion Urbaine de Proximité

La gestion urbaine de proximité (GUP) est un enjeu important pour la rénovation urbaine : elle permet à court terme d’accompagner et de faciliter la mise en œuvre des opérations, notamment en veillant au maintien de la qualité du cadre de vie pendant les chantiers, et à plus long terme de pérenniser les investissements réalisés. La GUP a pour mission de répondre aux objectifs de cohésion sociale, de qualité du logement, de sécurité, d’accessibilité aux équipements et aux services, et constitue donc un excellent outil pour s’emparer de certains déterminants de santé. Elle représente un levier important de mise en cohérence des initiatives d’acteurs locaux (collectivités, bailleurs sociaux, services de l’État, associations, habitants) qui peut contribuer à améliorer le cadre et la qualité de vie des habitants

Pour aller plus loin :
  - «Habitant·es, transformations urbaines et santé» (Fabrique Territoires Santé, 2020)
  - «La santé et le bien-être dans les quartiers en renouvellement urbain» (ANRU, 2021)
  - Les centres de ressources politique de la ville d’Île-de-France : Profession Banlieue (93), Ressources urbaines (91, 94 et 77) et Pôle ressources ville et développement social (95, 92 et 78)
  - Table ronde «Les enjeux de santé dans les QPV : quelles réponses de l'urbanisme ?» (Ekopolis, 2021)

idee Et pour approfondir la thématique : retrouvez ce dossier condensé au format fiche À SAVOIR et notre bibliographie thématique  !

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